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Après la guerre de Sécession et l'émancipation des esclaves qui s'ensuivit, les afro-américains eurent la possibilité de devenir métayer. Mais bien peu purent bénéficier de cette possibilité car ne disposant pas des moyens financiers. Ils se firent donc employer dans les plantations où sur de grands chantiers (construction des voies de chemin de fer, par exemple). Cette nouvelle liberté eut aussi pour effet de d'augmenter le taux de natalité. C'est ainsi que commença la migration des afros-américains vers le Nord. Un sous prolétariat s'installa alors à la périphérie des grandes villes.
Quelques Afros-Américains en rupture de ban, inaptes ou renâclant au travail manuel ou, tout simplement, ayant d'autres talents devinrent Songsters (musicien, chanteur, conteur). Ils passent de village en village, de camps forestiers en chantiers, distrayant ouvriers et contremaître contre le gîte et une bouteille de whisky. Ils se déplacent avec un banjo ou un violon avant que la guitare ne prenne le pas. Ils pratiquent un proto Blues chanté / parlé a cappella, et s'accompagnent d'autres instruments rudimentaires, tels que le « Didley Bow » (corde fixée sur une planche) ou le « Jug » (cruchon en terre dans lequel on soufflait).
Mais la reconstruction des Etats du sud et la réconciliation du sud et du nord connurent de grandes difficultés dont la population noire fit les frais. Les libertés des Afro-Américains reculèrent. Les sudistes les plus extrémistes se rejoignirent dans des sociétés secrètes, telle que le Ku Klux Kan. Les prisonniers noirs furent remis dans les champs enchainés. Les droits civiques annulés purement et simplement dans certains états, pour finalement, laisser place à une ségrégation déclarée constitutionnelle en 1896. L'historien noir, John Hope Franklin note : "... Par plus d'un aspect, la vie des noirs dans le sud au début du XXe siècle, était plus difficile et plus précaire qu'aux temps de l'esclavage."
On peut retenir la date symbolique de 1896 qui marque la constitutionalité des lois ségrégationnistes comme les débuts du Blues. Date correspondant à un recul des libertés pour les Afro-Américains et qui marqua le début d'une longue période de malheur, autrement dit, de blues. Cette musique est spécifiquement afro-américaine et est née très certainement dans le Mississipi.
Le mot "Blues" est une abréviation de "blue devils" qui veut dire "idées noires". Avant de jouer le Blues, les Afro-Américains ont longtemps vécu le "blues". Le Blues est une émotion, celle du malheur.
Le terme est apparu en 1862, dans le journal de Charlotte Forten qui apprenait à lire aux esclaves : " Je suis rentrée de l'église avec le blues. Me suis jetée sur mon lit et pour la première fois que je suis ici, je me suis sentie très triste et très misérable." Il n'est pas question de musique. Mais en 1863, elle écrit encore : " Une des esclaves m'a dit : " J'aime Poor Rosy plus que n'importe quelle autre chanson, mais pour bien la chanter, il faut avoir le cœur gros et l'esprit inquiet"."
Le Blues trouve ses origines au XVIIIe siècle dans les plantations des Etats du sud dans lesquelles se pratiquaient les Works-songs (chants de travail), les Fields-hollers (récit d'esclave) ou les Hollers (hoolies ou ar-hoolies) qui étaient des vocalises envoyées d'un champ à un autre champ.
Exemple de Works Song
Jess Bradley & Group - Waco Ida - enregistré en 1933 dans une prison texane par Alan Lomax
Exemple de Hollers (les hollers pouvaient être sans parole comme dans celui-ci) Annie Grace Horn Dodson - Field Call - 1950
Dans les collines du Mississipi qui sont plus au Nord, c'est le Fife & Drums (fifre & tambour) qui donnera une marque particulière au Blues des collines avec une présence plus marquée des percussions et un rythme plus "groové" que "swingué".
Exemple de Fife & Drum Otha Turner and the Rising Star Fife & Drum Band - My Babe - 1998 Otha Turner est l'un des des tous meilleurs joueurs de fifre. En 1998, il a enregistré une série de morceaux dans sa ferme, restituant ainsi l'ambiance et les sonorités qui devaient accompagner cette musique au XIXe siècle.
Le Blues est avant tout la musique des idées noires, celles qu'on partageait le soir à la veillée et qu'on évoquait à mots couverts lors des Works-songs. Il a la particularité d'utiliser la Blue Note, typique du Blues et du Jazz qui est née de la rencontre de la gamme européenne à sept degrés et le système musical pentatonique africain à la quinte bémolisée et dont le troisième et le septième degré étaient absents. Cette gamme pentatonique est aussi utilisée chez les indiens d'Amérique, notamment les Cerokee, tribu où allaient se réfugier les esclaves en fuite. L'autre particularité du Blues est son swing, cette manière de balancer à contretemps qu'on ne trouve nulle part ailleurs qu'en Amérique. Ce swing signifiant avant toute chose, la liberté d'être de l'esclave. Swing qui sera repris appelé "lokan" aux Antilles ou "lewoz" ailleurs.
"Frankie and Albert" ("Frankie and Johnnie"), "Lining Track", "Pick a Bale of Cotton", sont le premiers titres de Blues du delta connus ; le plus ancien texte étant celui de "John Henry".
Charley Patton - Frankie And Albert - 1929 L'origine du morceau date peut-être d'avant 1888. L'histoire a d'abord du être colportée par les Holdfielders puis mise en musique ultérieurement. Deux versions musicales avaient été reprises d'autres chansons : d'abord celle de "He Done Me Wrong, Death of Bill Bailey" de Hughie Canon en 1904 ; et l'autre en 1908, "Bill You Done Me Wrong" de Franck et Bert Leighton. Les paroles ne furent fixées qu'en 1925.Le morceau est plus connu sous le titre "Frankie and Johnnie".
Leadbelly - Pick a Bale of Cotton - enregistré par Alan Lomax en 1934 La chanson raconte le travail des esclaves dans les plantations
Sid Hemphill - John Henry - enregistré en 1959 par Alan Lomax C'est certainement la plus vieille histoire colportée par le Blues. John Henry était un esclave travaillant à la construction des voies de chemin de fer. Il était si fort qu'il a défié un marteau à vapeur. Il gagne son défi mais meurt sitôt la victoire acquise. John Henry est un héros mythique dont l'histoire était colportée dans les champs pour se donner du courage.
Après la première guerre mondiale, l'industrie du disque se développa fortement avec l'apparition de nouveaux labels. L'un de ces nouveaux labels "Okeh" se laissa persuader qu'un public important serait intéressé par la musique afro-américaine. Le premier enregistrement de Blues eut lieu en 1920 et c'est Bessie Smith qui enregistra "Crazy Blue". Dès 1922, tous les labels eurent leur catalogue de "Black Music" vite redénommé - ségrégation oblige - "Race Record".
Dès lors, le Blues se répandit à travers les Etats-Unis, puis au-delà, pénétrant petit à petit les autres musiques. Ce grand courant musical a eu une influence majeure sur l'ensemble des musiques nées au XXe siècle. En premier lieu le Jazz et le Rock, via le Rhythm n' Blues. On peut aussi en retrouver les traces chez Maurice Ravel (Sonate pour violon et piano), George Gershwin (Rhapsody in Blue, Porgy and Bess), Arthur Honeger (Pacific 231), pour ceux des plus connus.
La Blue Note
De Blue Devils (les "diables bleus" qui signifie "les idées noires"). Utilisée principalement dans le Blues et le Jazz, la note bleue vient du système musical pentatonique africain. C'est une note jouée ou chantée avec un léger abaissement d'un demi-ton. Ces notes sont les 3e, 5e et 7e degrés abaissées qui sont utilisées à des fins expressives, pour marquer la nostalgie ou la tristesse.
